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Laurent Mauvignier, un dernier mot...

Laurent Mauvignier, un dernier mot...

Vous connaissez désormais le principe. Nous proposons aux auteurs invités de la librairie un petit questionnaire inspiré de "Séance tenante" du journal Libération.
C'est au tout de Laurent Mauvignier de se prêter au jeu. C'est parti :

Le premier livre ?
Un bon petit diable, de la Comtesse de Ségur.



Le dernier livre lu ? C'était comment ?
La photo au-dessus du lit, de Bertrand Schefer, chez POL. Cérémonie m’avait déjà beaucoup touché, celui-ci davantage encore. Un livre très pur, très beau – un souvenir terrifiant et bouleversant.

Un livre sans cesse relu ?
Quelques livres relus, mais pas « sans cesse ». Il y a trop de choses à lire. Mais quelques-uns relus deux ou trois fois, et d’autres plus, comme la Maladie de la mort de Duras ; c’est très court, je l’ai donc relu sept ou huit fois. Koltès aussi (La nuit juste avant les forêts, Dans la solitude des champs de coton). Lumière d’août de Faulkner et, parfois, des grandes replongées chez Proust, deux ou trois volumes de la recherche. Et puis Beckett, n’importe lesquels. En ce moment, j’ai très envie de relire Madame Bovary, lu deux fois, j’ai envie d’une troisième. La mort d’Ivan Illitch, de Tolstoï, plusieurs fois aussi.

Une citation sue par coeur ?
Evidemment, comme j’ai l’esprit d’escalier, aucune ne me vient en tête maintenant.

Un livre dont vous remettez toujours la lecture à plus tard ?
Guerre et paix.

Un livre que vous citez souvent sans l'avoir jamais lu ?
J’évite de parler des livres que je n’ai pas lus. Sans doute l’ai-je déjà fait, comme tout le monde, mais je ne m’en souviens pas. Je n’ai aucune raison d’échapper aux vanités de ce monde ni aux petites peurs narcissiques qui nous font mentir ou nous vanter, comme dirait Baudelaire, d’actions que nous n’avons pas accomplies. Je pourrais par exemple parler du livre de Pierre Bayard, que je n’ai pas lu, mais qui parle très bien, j’en suis sûr, de comment parler des livres qu’on n’a pas lus.

Un livre culte dont vous seul connaissez l'existence ?
Le Tutu de Princesse Sapho (chez Tristram). J’ai longtemps cru que c’était Les Saisons, de Maurice Pons, mais je dois constater chaque jour que la confrérie est devenue trop grande pour qu’on puisse se sentir le seul au courant.



Qu'est ce qui vous fait sauter des pages ?


L’impression de répétition. Les phrases mal ponctuées et les adjectifs trop démonstratifs, ce que j’appelle « la gonflette », me font même franchement sauter les livres, plutôt que les pages. En fait, je saute très rarement les pages. Si je suis mal dans un livre, je le ferme au bout de quelques paragraphes. Il y a une écriture, un rythme ou pas. On est pris ou pas. On le sait assez vite, je crois.

Un rêve qui pourrait être un début de roman ?


Un rêve qui m’avait beaucoup plu, auquel je repense beaucoup en ce moment : j’étais à la gare Montparnasse, à Paris. Sur le tableau d’affichage : non pas des villes, mais les noms des personnages d’A la recherche du temps perdu. Cambremer, Elstir, prochain départ dans dix minutes. Je ne sais pas si on pourrait ouvrir un livre sur ça, mais bon, pourquoi pas ?

Le personnage de roman dont vous vous sentez le plus proche ?


L’idiot de Dostoïevski.

Un rituel de lecteur ?

Avoir plus d’un livre d’avance, toujours deux ou trois avec soi, ou qu’on aille, quelle que soit la durée d’un déplacement. Pareil à côté du lit, toujours au moins trois ou quatre.

Un livre qui vous a empêché de dormir ?


Les livres ne m’ont jamais empêché de dormir. C’est l’inverse. Je suis assez insomniaque, et c’est l’empêchement de dormir qui me fait lire la nuit.

L'écrivain dont vous n'oseriez jamais dire du mal ?


On peut parfois être critique sans avoir l’impression de dire du mal. La malveillance, c’est une chose, et il y a des écrivains que je respecte tant que je ne me vois vraiment pas les juger, les moquer. Pour autant, je peux avoir des réserves, des critiques, il peut m’arriver d’être sévère y compris avec des noms que je révère. Mais je ne pense pas en dire du mal, c’est différent. Il y a un grand nombre d’auteurs intouchables, qui sont la littérature elle-même, si l’on veut. On connaît leur nom, ceux-là regardent les critiques comme les lampadaires s’intéressent aux chiens qui leur pissent dessus, comme disait l’autre.

L'écrivain dont vous oseriez dire du bien ?


Je crois que la plupart des gens font ce qu’ils peuvent, ce qui n’est déjà pas si mal. Au fond, le problème, ce n’est pas de dire du bien ou du mal de tel ou tel, c’est de savoir si dans les livres qu’il écrit, ce tel ou tel déplace quelque chose ou non, risque un regard, une vision, une position ou non. Dire du bien, oui, c’est en fait très facile, il suffit de regarder : beaucoup de gens écrivent avec une sincérité déconcertante. Parfois les livres sont bons, parfois non. Mais les gens, eux, le plus souvent, essaient. Ce qui me ferait dire du mal, c’est le petit arrivisme, l’instrumentalisation des livres, des personnages, des idées, pour flatter le goût le plus commun.

Le livre disparaît à tout jamais ? Une épitaphe ?
Je ne crois pas plus à la disparition du livre qu’à celle du désir, de l’amour, du rêve, de la mort, de la maladie, des femmes, des enfants, du ciel bleu, des nuages, de tout ce qui nous fait nous lever et nous coucher. Je ne crois pas à la disparition du livre, parce que le fait même qu’on se pose la question révèle une peur, une inquiétude qui est un signe que nous y tenons encore suffisamment pour que ça n’arrive pas. Hors de question de céder à la tentation d’envisager sa disparition. Aujourd’hui, le livre est l’instrument le plus simple et utile pour lutter par la fiction. On peut soulever le monde avec rien, quand le cinéma et tous les autres arts demandent une économie et une industrie trop lourde, juste pour être envisageable ; un livre, rien n’est moins cher à faire, rien ne vous rend plus libre. Ce n’est pas demain que cette liberté sera en danger. Les lecteurs, il n’y en a jamais eu beaucoup. C’est une communauté secrète et solide, tenace. Dans le langage Internet d’aujourd’hui, on appelle ça une niche. Ce n’est pas là pour dominer le monde, c’est là, c’est tout, et ça va durer si l’on y travaille et si on aime les livres et les partager.